La génération Internet exerce une fascination sans précédent pour tout ce qui est estampillé « mignon ».
En 2019, on compte sur le réseau social Instagram plus de 510 millions de publications arborant
le hashtag #cute (mignon) – il est également l’un des 10 hashtags les plus utilisés dans le
monde. Aux quatre coins de la planète, les scientifiques et les chercheurs se penchent sur ce phénomène,
pour tenter de comprendre pourquoi ce qui est mignon attire et captive autant.
D’après une étude du département de psychiatrie de l’Université d’Oxford, le fait que les bébés soient
mignons est d’ailleurs un facteur-clé à leur survie. Le cerveau humain a tendance à considérer
comme mignon tout ce qui, de près ou de loin, a une apparence juvénile : il suffit de
mettre deux yeux sur une tasse pour subitement la trouver sympathique. Par ailleurs, le web déborde de
vidéos attendrissantes. Nos animaux de compagnie comptent désormais des milliers de followers et,
d’après les chercheurs, ont un effet positif sur notre état émotionnel.
À travers diverses études
scientifiques, la faireparterie vous propose d’explorer le mignon sous toutes ses facettes.
En 1949, l’ethnologue Konrad Lorenz établit sa théorie du Kindchenschema, affirmant que les adultes réagissent de manière stéréotypée aux traits juvéniles. Le chercheur autrichien considère que des mécanismes de déclenchement innés activent une réaction de soins des adultes envers leurs petits. Il s’agit chez l’humain, comme chez la plupart des animaux, d’un stimuli supranormal : une tendance évolutive à l’attrait vers l’éxagération. Les êtres humains développent des caractéristiques afin d’activer ces stimulis, tout comme la roue multicolore du paon attire les femelles.
D’après les lois des phénomènes de sommation et d’excitation, les caractéristiques suivantes activent le « déclencheur de soins » chez les parents :
Comment notre cerveau se fait-il pirater par cette émotion ?
En 2016, une étude menée par le département de psychiatrie de l’Université d’Oxford pousse la théorie
du Kindchenschema au-delà des
observations de Lorenz, démontrant que des facteurs tels que l’odeur
et les bruits que font les bébés suscitent des réactions innées chez
les jeunes parents.
La théorie s’est ainsi vue étendue à un stimuli neurologique. La réaction aux bébés est deux fois
plus rapide qu’en
moyenne (250 ms).
Le cerveau adulte réagit en :
Au deuxième jour après sa naissance, l’odeur des nouveau-nés active la zone cérébrale de récompense chez les femmes, qu’elles aient ou non donné naissance. La réaction observée à l’odeur du nouveau-né est égale à celle déclenchée par une gourmandise, ou même, par une drogue comme la cocaïne.
Les cordes vocales bien étirées du nourrisson lui permettent de produire des sons de haute fréquence et d’une sonorité pure, attirant l’oreille des personnes qui prennent soin de lui. La même observation est faite chez de nombreuses espèces d’oiseaux et de mammifères.
Les parents ne trouvent leurs bébés réellement
mignons qu’à partir de 6 mois
En souhaitant poser les limites temporelles du Kindchenschema, le trio de psychiatres et chercheurs Zhu Luo, Hong Li et Kang Lee ont déterminé que les nourrissons atteignent leur « pic de mignon » à 6 mois.
Après avoir demandé à 60 participants de décider quels bébés étaient les plus mignons, sur une sélection d’enfants de la naissance à 6 ans, les chercheurs ont pu observer que la majorité des adultes posent les critères du « mignon » aux bébés âgés de 6 mois. Ce stade dure jusqu’à ce que le bambin atteigne ses 4 ans et demi. Ils en ont conclu que ce pic serait lié au grossissement de la boîte crânienne. A partir de 4 ans et demi, la structure faciale tend à changer, entraînant une modification de perspectives chez l’adulte envers l’enfant.
Selon une autre théorie exposée dans le journal Evolution and Human Behaviours, le fait que les adultes considèrent les bébés plus mignons après 6 mois est dû au fait que les êtres humains de moins de 3 mois ont toujours été plus vulnérables et ont un risque de mortalité plus élevé qu’à d’autres stades de l’existence. Les humains ont ainsi naturellement posé les caractéristiques du mignon à la fin de ce premier stade.
Pour aller plus loin :
Tout ce qui est mignon m’insupporte
Tout ce qui est mignon m’indiffère
Tout ce qui est mignon me fait craquer
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Étymologie d’une émotion
qualifient réellement l’émotion
ressentie en percevant le mignon.
En japonais, le mot kawaii (かわゆい) peut être traduit par « adorable » mais se réfère en premier lieu à la pitié. En français, on se laisse attendrir et en anglais, l’exclamation aww, inscrite au dictionnaire, fait office de description. Les chercheurs abordant la question du mignon se voient donc forcés d’utiliser des termes porte-manteaux, tels que l’émotion du mignon ou qualifier cet état d’attendrissement – terme pourtant non exclusif à cette émotion. En réalité, il existe peu d’études sur l’effet du mignon, en comparaison aux autres réactions humaines : on compte dix fois plus d’études sur la peur que sur l’attendrissement.
Il existe:
« Les émotions sont des processus chimiques dans notre corps qui se mettent en marchent dans une situation nouvelle, inhabituelle ou compliquée. Comprendre ses émotions nous aide à éclairer notre jugement, à nous protéger des risques, à prendre de bonnes décisions en fonction de nos valeurs. Malgré une croyance répandue il n’y a pas d’émotions positives ou négatives. Elles peuvent être tout simplement agréables ou désagréables à ressentir, mais chacune d’entre elles a son utilité. »
Uliana Borzova, psychologue cognitiviste et neuro-psychologue.
Une sensation millénaire, interculturelle et biologique
D’après le Dr Erica Cosantino, spécialisée dans la psychologie du langage, si cette sensation reçoit
une attention limitée, c’est parce qu’elle n’a pas réellement de nom et qu’elle peut être
difficilement décrite. La sensation accompagnant ce que l’on trouve mignon est pourtant
interculturelle ; elle se caractérise notamment par des vocalises et par des réponses
hormonales spécifiques. Cette émotion est importante dans le cadre de la sélection naturelle. Elle
force l’instinct de protection parentale chez les différentes espèces animales.
À l’heure
actuelle, ce ressenti est largement reconnu et exploité, notamment dans les domaines tels que la
mode, le marketing et le design.
Utiliser l’attendrissement dans ces cadres revient à
emprunter une approche puissante et efficace.
Le « gigil » ou l’agression du mignon
70 à 75 % des personnes sont familières à l’agression du mignon
Avez-vous déjà eu envie de croquer un chaton ? De pincer les joues d’un bébé ? Ou d’écrabouiller un chiwawa ? Tout va bien, vous êtes simplement atteint d’« agressivité mignonne ». Aux Philippines, cette « tension qui surgit en nous devant quelque chose d’insupportablement mignon » est désigné par le mot « gigil » (prononcé « guiguil »), comme l’explique Laurent Nunez, dans son livre Il nous faudrait des mots nouveaux.
Le phénomène fut observé par les chercheuses Rebecca Dyer et Oriana Aragon de l’Université de Yale. Après avoir distribué du papier bulle à un groupe, elles ont réalisé qu’un plus grand nombre de bulles étaient explosées lorsque les participants regardaient des images mignonnes. Ce sentiment n’a encore pas trouvé d’explication : cela vient peut-être de la frustration de ne pas pouvoir s’occuper de l’être mignon autant que l’on souhaite, ou simplement au fait que le cerveau ne sait comment réagir lorsqu’il est submergé par des émotions positives.
Non, et je trouve cette idée étrange
Je ne sais pas
Oui, cela m’arrive souvent
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Travail et kawaii
facteur marketing
Le mignon a pris une place centrale dans le commerce ; les professionnels du marketing ont compris que les consommateurs acquièrent plus aisément un produit attendrissant, comme ils adopteraient un chiot. L’attrait aux objets mignons dans les sociétés occidentales s’expliquerait par un désir croissant d’expériences d’achat rassurantes, lié au développement de quotidiens stressants. Dans un article du Journal of Consumer Research, les chercheuses Gergana Y. Nenkov et Maura L. Scott dévoilent les résultats de leurs recherches à ce sujet :Aussi, du matériel de bureau mignon ou attendrissant augmente l’envie d’effectuer des travaux créatifs et ludiques. L’expérience dévoile que les utilisateurs d’une agrafeuse ludique (ici, crocodile) se sentaient plus enjoués en l’utilisant.
plus utilisée que la neutre pour des tâches ludiques
- Attitude positive envers la marque
- Meilleures intentions d’achat
- Marque perçue comme chaleureuse
- Application plus ludique
- Effets positifs sur la créativité
- Perçue comme plus performante
- Image de marque sérieuse
Dans une expérience menée par les chercheurs H. Fukushima, A. Yano et H. Moriya, il a été observé que l’exposition à des images mignonnes entraîne une amélioration de la productivité. Les chercheurs ont demandé à deux groupes de jouer au jeu de dextérité « Docteur Maboule ». Le groupe exposé à des images attendrissantes avant l’expérience a affiché des résultats nettement meilleurs que le second groupe.
La conclusion de cette étude suggère que les images mignonnes rendent non seulement plus heureux, mais également qu’elles permettent de mieux performer à des tâches qui requièrent de la minutie, en augmentant l’étendue de notre attention. Les caractéristiques mignonnes appliquées aux objets peuvent également transformer le rapport de l’individu à ceux-ci. Les utilisateurs en prennent, de fait, plus soin et les considèrent comme plus approchables et attirants.
Les images mignonnes
- favorisent la concentration
- accroissent la productivité
- rendent plus soigneux
- multiplient les émotions positives
« Intégrés dans un contenu, les chats permettent de rendre le sujet plus léger. Les statistiques et les mathématiques en particulier sont particulièrement difficiles à vulgariser. Une équation ne sera jamais aussi spectaculaire qu’une fusée, un animal exotique, une expérience chimique ou un trou noir. Pour moi, ajouter des chats dans le problème aide à arrondir les angles. »
Nathan Uyttendaele, auteur de la chaine Youtube de vulgarisation scientifique « Chat sceptique »
Non, j’ignore ce type de contenu
Parfois
Oui et je les partage
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Le Cuteness Overload
au chiwawa
L’homme a modifié le génome canin en ne transmettant que certains traits, comme un sens de l’odorat plus ou moins fort, un pelage attrayant, mais aussi une physiologie correspondant au Kindchenschema : voyez les bouledogues français avec leurs grands yeux, leurs petits museaux retroussés et leurs courtes pattes. Malheureusement, ce qui rend ces animaux mignons est également à l’origine de leurs problèmes de santé, comme des otites ou conjonctivites à répétition… Un rapport vétérinaire anglais tirait en 2017 la sonnette d’alarme. Mais le fait qu’ils soient mignons prévaut et ces soucis sont loin de décourager les amis des chiens : cette race reste encore l’une des plus populaires en Europe.
L’enquête encyclopédique de Darwin sur les espèces domestiquées a révélé un phénomène intrigant. En étudiant l’élevage, il a constaté que les mammifères domestiqués présentent en général une série de traits comportementaux, physiologiques et morphologiques non observés chez leurs aïeux sauvages.
Dans une étude parue en Juin 2019, les chercheurs de l’Académie américaine des sciences ont notamment découvert que les chiens possèdent un muscle supplémentaire au-dessus des yeux, développé afin d’améliorer la communication avec les humains durant des milliers d’années. La question de savoir pourquoi un changement physique s’observait chez l’animal au contact de l’Homme est longtemps restée sans réponse. Dans une étude parue en 2014, le chercheur Adam Wilkins de l’Université de Humboldt suggère que nos animaux domestiques héritent de traits mignons dans leur patrimoine génétique, modifié par le contact avec l’Homme.
Une étude australienne publiée dans le journal The Mammal Review est récemment arrivée à la conclusion que les animaux « moches » sont plus menacés d’extinction que leurs semblables aux physiques plus attrayants. Après les avoir classés en trois groupes : les mignons, les méchants et les moches, les chercheurs ont comparé le nombre d’études réalisées sur les différentes espèces animales et observé que les scientifiques portent plus d’intérêt aux kangourous et aux koalas (80 % des études leurs sont consacrés) qu’aux chauve-souris et autres rongeurs (11 %).
Le principal facteur de ce déséquilibre est lié aux dons : les donateurs choisissent les animaux qu’ils veulent protéger en fonction de leur attrait et de leur risque d’extinction. Les efforts marketing n’ont aucun effet : les animaux mignons tels que les pandas roux attirent toujours plus que la tortue géante à carapace molle comme celle du fleuve Yangtze (plus que 3 spécimens restants). En Angleterre, l’association « Ugly Animal Preservation Society » sensibilise depuis 2012 à l’extinction des animaux moches.
caractéristiques du Kindchenschema. Il figure parmi les animaux qui récoltent le plus de donations.
Les personnes ayant ou ayant eu un chat ont tendance à regarder plus de vidéos félines
Les vidéos de chats ne sont pas la motivation première des internautes à se rendre en ligne, elles sont visionnées par hasard (et difficilement évitables)
Étonnant : plus la fréquence de visionnage de vidéos de chats est élevée, plus celles-ci ont un effet positif sur l’état émotionnel
Enfin, les internautes sont rapidement conditionnés et s’attendent à un résultat émotionnel positif en regardant ces vidéos
Selon l’étude, quelqu’un qui pourrait se sentir coupable de procrastiner en regardant des vidéos de chats peut quand même ressentir du plaisir en les regardant et, malgré la culpabilité, les partager avec d’autres. Le partage de ce contenu est une manière pour les internautes de bénéficier de capsules de bien-être, ce qui transforme la perte de temps… en bonne action !
Les chats ont longtemps été maîtres d’Internet. À l’heure actuelle, les chiens ou « doggo » prennent le devant de la scène. Un changement qui s’expliquerait par le développement démographique d’Internet : les chats étaient à l’origine un type de métaphore du nerd. Sur internet, les chats et chiens ont un langage vernaculaire respectif : le lolcat (proche du lolcode) pour l’un, le doggolingo pour l’autre.
Le nombre de recherches de contenus de chiens a augmenté au fil des années, pour finalement détrôner le chat.
- Chat
- Chien
pattes du web et leur nombre de followers
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manière…
Les choses mignonnes ont envahi notre quotidien et elles offrent encore de nombreuses pistes à explorer, afin de mieux comprendre la manière dont nos cerveaux réagissent face à elles. Elles déterminent notre approche aux animaux, aux objets, aux bébés et à Internet. Elles nous poussent à nous en occuper et vont parfois jusqu’à déclencher en nous une « agression du mignon », un phénomène neuronal bien connu des psychologues. Désormais, vous ne verrez plus de la même manière les chiots, les chatons, et autre lolcats sur Internet, devenu le miroir qui reflète notre obsession pour tout ce qui est mignon et améliore notre état émotionnel.
- Le mécanisme de déclenchement, Konrad Lorenz https://www.universalis.fr/encyclopedie/instinct/2-le-mecanisme-de-declenchement/
- Have your pets inherited a cuteness gene?, LEWIS D., 2014 https://cosmosmagazine.com/biology/have-your-pets-inherited-cuteness-gene
- Aww: The Emotion of Perceiving Cuteness, Buckley R. C., 2016 https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2016.01740/full#B34
- Are newborns’ faces less appealing?, Prarthana Franklin, Anthony A. Volk, Irisa Wong, 2018 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1090513817303434?via%3Dihub
- On Cuteness: Unlocking the Parental Brain and Beyond, Morten L. Kringelbach; Eloise A. Stark , Catherine Alexander, Marc H. Bornstein , Alan Stein, 2016 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1364661316300420
- The Power of Kawaii: Viewing Cute Images Promotes a Careful Behavior and Narrows Attentional Focus, Michiko Fukushima, Akihiro Yano, Hiroki Moriya, 2012 https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0046362
- When It Comes to Conservation, Are Ugly Animals a Lost Cause?, Diogo Veríssimo and Bob Smith, 2017 https://www.smithsonianmag.com/science-nature/are-ugly-animals-lost-cause-180963807/
- The “Domestication Syndrome” in Mammals: A Unified Explanation Based on Neural Crest Cell Behavior and Genetics, Adam S. Wilkins, Richard W. Wrangham and W. Tecumseh Fitch, 2014 https://www.genetics.org/content/197/3/795
- Emotion regulation, procrastination, and watching cat videos online: Who watches Internet cats, why, and to what effect?, Jessica G Myrick, 2015 https://www.academia.edu/17357914/Emotion_regulation_procrastination_and_watching_cat_videos_online_Who_watches_Internet_cats_why_and_to_what_effect
- “So Cute I Could Eat It Up”: Priming Effects of Cute Products on Indulgent Consumption, Gergana Y. Nenkov, Maura L. Scott, 2014 https://alphaarchitect.com/2014/10/07/behavioral-bias-bingo-the-whimsical-cuteness-effect/
- Google Trends https://trends.google.com/trends/explore?date=all&geo=FR&q=chien,chat
- Larousse https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/mignon_mignonne/51388
- Vidéos de chats, émissions animalières : “l'agression du mignon” https://www.franceinter.fr/emissions/capture-d-ecrans/capture-d-ecrans-21-decembre-2018
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